mardi 2 août 2011

...Robertine Barry, vous connaissez?

J'ai fait sa connaissance grâce au remarquable ouvrage de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque: Elles ont fait l'Amérique
Leur récit a éveillé ma curiosité et m'a incitée à plonger dans les deux ouvrages de Sergine Desjardins: Robertine Barry, tome 1, La femme nouvelle (2010), ainsi que Robertine Barry, tome 2, On l'appelait Monsieur (2011).
Le fait que Robertine soit née quelques mois avant ma grand-mère paternelle a aussi stimulé mon intérêt.  Cette grand-mère qui a vécu avec nous les dernières années de sa vie, je la connaissais aussi bien qu'un enfant peut le faire et j'étais curieuse des parallèles à établir avec une autre femme de son époque.

Robertine Barry devint, en 1891, la première femme journaliste de langue française au Québec, vivant de son travail et faisant partie de l'équipe du journal La Patrie, fondé par Honoré Beaugrand.  Elle dut tout de même signer la plupart de ses articles "Françoise", tellement il était de mauvais ton qu'une femme de son milieu gagne sa vie.  Honoré Beaugrand ne freina en rien son enthousiasme, sa verve, ne s'objecta à aucune de ses attaques et de ses prises de position, qu'il s'agisse de l'éducation des filles, de la lutte à la pauvreté, du célibat dont elle faisait l'apologie, de la venue du tramway électrique à Montréal, des mauvais traitements faits aux chevaux de calèche, etc...  Un franc-parler et un humour tout à fait inusités chez une femme de l'époque, une femme journaliste fort appréciée de ses lecteurs et gardée à l'oeil par les hautes instances de l'Église catholique (évidemment!).

Robertine eut la chance de grandir aux Escoumins et à l'Ile Verte, dans une famille ouverte sur le monde, cultivée, où les livres et les journaux canadiens et européens (sans censure aucune) étaient à l'honneur, de même que la musique.  Très tôt, elle décida d'écrire, de devenir journaliste.  Comme l'université était interdite aux filles (McGill University existait pour les femmes anglophones et il était inconcevable qu'elle s'y inscrive.  À l'époque, les femmes d'ici qui osaient faire médecine aux USA ne pouvaient travailler que là-bas, le droit de pratique leur étant refusé au Québec).  À la fin de ses études chez les Ursulines de Québec, Robertine se consacre à l'écriture et quelques années plus tard, dans la jeune vingtaine, rejoint l'équipe du journal La Patrie.  Les années qui suivent sont consacrées à sa Chronique du lundi et à son travail de journaliste.  Elle milite de manière constante contre les préjugés et les abus faits aux femmes.  Celles-ci partaient de loin: considérées au même titre que les enfants et les aliénés, elles ne pouvaient gérer leurs propres avoirs (si elles en avaient), ou travailler à l'extérieur.  Le célibat des femmes était suspect (excusé seulement si la femme veillait sur ses vieux parents).  La fille passait de l'autorité du père à l'autorité du mari, auquel cas, elle se devait de procréer régulièrement!!!!  Robertine avait donc du pain sur la planche et elle se lança dans la bataille avec fougue malgré les quolibets et les menaces.  Son influence sur ses lecteurs et lectrices fut incontestable.

Comme le souligne Bouchard/Lévesque dans leur ouvrage, le travail d'observation et d'écriture de Robertine Barry est tellement juste et précis qu'on peut parler d'un "travail ethnographique" qui s'avère fort précieux pour qui s'intéresse à cette époque.

Ma grand-mère Clémentine née tout juste un an plus tard que Robertine, se maria à 22 ans, enfanta 5 garçons et 2 filles (l'une mourut accidentellement à 18 ans, l'autre fut recrutée chez les Soeurs).  Le travail de son mari le menant sur divers chantiers, elle éleva sa marmaille souvent seule.  Habitant la maison voisine de l'église de son village, elle fréquentait les messes et offices religieux avec assiduité.  Elle se conforma entièrement à ce que son époque attendait d'elle. Fut-elle heureuse?  Je crois que comme des milliers de femmes de son temps, elle ne se posa jamais la question.  Acceptation, résignation et prières...

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